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JEAN-BAPTISTE POQUELIN MOLIÈRE
NÉ LE 15 JANVIER 1622, MORT LE 17 FÉVRIER 1673
«Quel est le plus grand des écrivains de mon règne? demandait Louis XIV
à Boileau.--Sire, c'est Molière.»
Non-seulement Despréaux ne se trompait pas, mais de tous les écrivains
que la France a produits, sans excepter Voltaire lui-même, imprégné de
l'esprit anglais par son séjour à Londres, c'est incontestablement
Molière ou Poquelin qui reproduit avec l'exactitude la plus vive et la
plus complète le fond du génie français.
En raison de cette identité de son génie avec le nôtre, il exerça sur
l'époque subséquente, sur le dix-huitième siècle, sur l'époque même où
nous écrivons, la plus active, la plus redoutable influence. Tout ce
qu'il a voulu détruire est en ruine. Les types qu'il a créés ne peuvent
mourir. Le sens de la vie pratique, qu'il a recommandé d'après Gassendi,
a fini par l'emporter sur les idées qui imposaient à la société
française. Il n'y a pas de superstition qu'il n'ait attaquée, pas de
crédulité qu'il n'ait saisie corps à corps pour la terrasser, pas de
formule qu'il ne se soit efforcé de détruire. A-t-il, comme l'exprime si
bien Swift, _déchiré l'étoffe avec la doublure_? l'histoire le dira. Ce
qui est certain, c'est que l'élève de Lucrèce, le protégé de Louis XIV,
poursuivait un but déterminé vers lequel il a marché d'un pas ferme,
obstiné, tantôt foulant aux pieds les obstacles, tantôt les tournant
avec adresse. Le sujet de _Tartuffe_ est dans Lucrèce; à Lucrèce
appartient ce vers, véritable devise de Molière:
_Et religionis..... nodos solvere curo[1]._
La puissance de Molière sur les esprits a été telle, qu'une légende
inexacte, calomnieuse de son vivant, romanesque après sa mort, s'est
formée autour de cette gloire populaire. Il est un mythe comme Jules
César et Apollon.
[1] Ce que je veux, c'est rompre les entraves qui nous enchaînent
(_religionis.... quod religat_).
Dates, événements, réalités, souvenirs, sont venus se confondre dans un
inextricable chaos où la figure de Molière a disparu. Tous les vices
jusqu'à l'ivrognerie, jusqu'à l'inceste et au vol, lui furent imputés de
son vivant. Les vertus les plus éthérées lui furent attribuées par les
prêtres de son culte. Homme d'action, sans cesse en face du public, du
roi ou de sa troupe, occupé de son gouvernement et de la création de ses
œuvres, il n'a laissé aucune trace de sa propre vie, aucun document
biographique, à peine une lettre. Les pamphlets pour et contre lui
composaient déjà une bibliothèque, lorsqu'un écouteur aux portes, nommé
Grimarest, collecteur d'anas, aimant l'exagération des récits et
incapable de critique, prétendit, trente-deux ans après la mort du
comédien populaire, raconter et expliquer sa vie. Vers la même époque,
une comédienne, à ce que l'on croit du moins, forcée de se réfugier en
Hollande, jetait dans un libelle les souvenirs de coulisse qu'elle avait
pu recueillir sur l'intérieur du ménage de Molière et de sa femme. Enfin
quelques détails authentiques, semés dans l'édition de ses œuvres
publiée par Lagrange en 1682, complètent l'ensemble des documents
comtemporains qui ont servi de base à cette légende de Molière,
excellente à consulter, mais qu'il est bon de soumettre à l'examen le
plus scrupuleux.
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